Figé. C'est devenu trop facile. Et répétitif. Quelques concepts redondants, le ton défini. Besoin d'un espace encore vierge, de poser la première pierre. De ce nouveau point de vue.
Peut-être que l'insomnie est un refuge qui nous trouve lorsque nous cessons de faire le lien, en nous extirpant des notions temporelles. L'occasion de se retrouver, d'apprécier le reflet concis que l'on maîtrise un instant, et d'abandonner un peu de toute cette gravité. Et des visions, toujours des visions.
A la torpeur du réveil, un calque
noir sur les yeux. A cette heure où les cieux sont dépourvus de la lune et du
soleil. Leur absence plonge dans la pénombre et isole les âmes encore
léthargiques. Des gouttes d’eau cristallisent dans mes poumons à cause de cet
air glacial qui prolonge le cauchemar, dont je viens d’être arraché par un son
répétitif et strident. Mais je ne suis pas encore soumis à l’Ordre, le contexte
global. Les Pour, les Contre. La raison, la rationalité, l’ennuie et la fuite,
je n’ai pas encore à les affronter. C’est simple. Je suis juste là.
Mais c’est comme tout ce qui m’offre
une cohésion, très succinct.
Et si je ne voulais pas m'en sortir ? Si je ne souhaitais pas m'arracher à cette solitude ? Dès que j'en ai l'occasion, je l'évite. Pas toujours habilement. J'attribuais tous mes comportements à la fuite, mais je ne peux plus feinter de ne pas percevoir cette partie de moi. Celle qui me ridiculise quand je redouble d'efforts, et qui me rappelle quand je suis las que je n'aspire à aucun autre avenir. Je ne me laisse expliquer la construction de l'être que je suis à l'instant t par les fantômes de mon passé. Pourtant ces visions de mes évolutions futures sont si palpables, si concrètes, si probables. La rationalité vient à nouveau à en écraser mes espoirs fictifs. La boucle est bouclée.
Je suppose que l’on ne peut se laisser guider par la peur, que
la fuite est malsaine. C’est ce que de tous côtés j’entends.
En proie à quelques visions horrifiques empreintes d’un
incontestable réalisme.
Tu t’y sentiras piégé. T’y vivras une journée sans fin. T’y
perdras pied et tu boiras la tasse. Juste pour voir ce que ça fait d’être plus
bas que terre. Tu penseras que la répétition du quotidien est rassurante. Tu
relativiseras tes drames intérieurs, minimiseras ton existence. Et à la fin, tu
seras comme eux.
Il faut y voir au moins une signification symbolique, une
occasion d’estomper ses maux, de se remettre en cause pour repartir agrémenté d’un
peu d’espoir et de courage qui sortent d’on ne sait où. Mais que fêtent ceux
qui n’attendent pas d’être guidé par un calendrier culturel ? Pourquoi ceux qui
prennent des résolutions ne les tiennent-ils jamais ? Arrêtent-ils de
réfléchir le reste de l’année ? Ou ne s’agit-il que de se mentir à
soi-même par manque d’estime ou de volonté ? Bien maigre consolation d’une
célébration décharnée.
A 17 heures, au petit matin. L’état hypnopompique et les murs qui tremblent m’encouragent à
leur laisser entrevoir ce qui se dissimule derrière leur perception tant
erronée. Le noir, qui du sol au plafond recouvre ce qui se trouve autour de
moi, réussit à m’immerger en moi-même. Je ne suis plus que l’hôte de ce corps
maintenant bien trop large, et je vois. Spectateur des impulsions qui animent
mon cerveau, le mécanisme de ma réflexion devient limpide. Je perçois mon
fonctionnement, ce que je ne serais jamais en mesure de modifier. Ce qui m’a
amené jusqu’ici. Flottant de moins en moins, je finis par regagner mon intégrité
corporelle. Cette expérience voit mon pessimisme conforté. Mais nait l’espoir,
d’atteindre un jour les puits abyssaux de mon instinct.
Non, toujours pas. Nuit après nuit. Tenu en laisse. Par mes
démons, mes addictions, le non-sens de mon existence. Ouais, ils me suspendent,
éveillé. Et j’ai beau vouloir leur arracher un peu de sommeil, il semble qu’ils
n’en aient tout simplement rien à foutre. Peut-être cela les amuse-t-il. Peut-être
que cela les nourrit. Moi, l’épuisement et la lassitude, ça m’éreinte. Je sens
le germe frêle d’un nouveau fardeau. Si cela enterre ma volonté dans ce monde-ci,
ça va être compliqué. Je pressens un choix conséquent et des conséquences qui n’ont
toujours aucune sorte d’importance. Car au fond, c’est plus que de l’insatisfaction.
Car au fond, vivre comme ça, c’est plus insupportable qu’autre chose.
« Qu'est-ce
qu'on s'en branle du futur quand on comprend pas le présent ?
C'est pour les gens différents, les feignants, les déviants,
C'est d'plus en plus dur, c'est d'plus en plus stressant,
Pour les névrotiques, les alcooliques, les boulimiques,
Ceux dont les neurones s'court-circuitent, quand self-défense rime avec courir
vite. »
Y’a ce besoin, que je pensais
fictif, inventé de toute pièce par ceux qui ont le contrôle, vulgaire
simplification de ce que le commun ne peut engloutir. Dans le but de conforter
leur pouvoir de manipulation. Puis j’ai vécu tous ces rythmes, me suis permis encore
une fois à rêver de cette transe. Incapable de déterminer qui décide, moi ou l’addiction.
L’envie d’ailleurs est là, l’une des rares à réussir à me faire réagir aujourd’hui.
J’y pense, j’y réfléchis ; cela me paraît raisonnable. Seules des
conditions favorables me sont nécessaires. Alors je guette. J’attends mon
heure, je sais qu’elle ne va pas tarder. Impatient, mes tremblements incessants
me rappellent perpétuellement ce que je rate. Et je m’autorise à un aperçu de
ce que cet imprévisible goût de Paradis me réserve. Plus qu’une célébration
culturelle, plus qu’une croyance en un être supérieur. Et tant d’incultes, qui
l’accusent. C’est fier que j’attends la fusion à cet amalgame d’incompréhensions,
d’explorer ce qui n’a pas de limites, de m’abandonner à la soumission. Oui, là,
dans un inconscient instinctif, j’attends.
Un siège d’isolement, une lutte d’incohérences
et le poing levé de l’assaillant ; la Raison. Passé la Résistance de mes contreforts
spirituels, elle me saisit par le col, secoue les guirlandes de mes neurones
qui pendent, et me jette au sol. Le contact de la chair de la paume de sa main
qui me saisit la cheville – cette peau flétrie qui sait tout mieux que personne
et qui lie les choses – appelle ma Révolte. En vue de résister à son
incontestable logique, sclérosée depuis l’origine du temps, j’ose insinuer une
vengeance. Mais je ne peux la déverser pour l’instant que dans les traces que
mon corps, inexorablement tiré par ce bras lourd, laisse dans la terre. Et elle
le sait. La poussière qui brule mes poumons invite mon âme à succomber aux
fondements d’une autre réalité que l’on ne peut qu’accepter. Mais au fond, ce
qui fait de moi ce que je suis ne peut se résoudre à abandonner sans consommer
un peu de ce à quoi elle tient. Et c’est ainsi que son haleine fétide chargée
de préceptes booléens ne suffit à m’achever. Et qu’à genoux, pliant sous le
poids de sa connaissance façonnée, j’en viens à haïr ce en quoi je croyais. Simplement
pour la perdre un peu plus, et surtout pour gagner un peu de temps.